La Sainte Bible en 2 volumes que j’ai eue à restaurer est la 2ème édition de 1866, éditée par MAME et fils à Tours, la première de 1865 ayant été épuisée très rapidement du fait de son succès immédiat. Gustave DORE avait en effet su attiser la curiosité du public en exposant les dessins de l’ouvrage avant publication !
Ces cartonnages au format in-folio sont très luxueux. Ils étaient dédiés à une riche clientèle bourgeoise. Les 3 tranches sont dorées, Ies plats ont été décorés au moyen de plaques à dorer et à gauffrer en bronze, gravées par Auguste Souze, graveur très renommé de plaques polychromes, notamment. Il fallait attendre au minimum 6 mois pour avoir l’honneur d’une plaque gravée de sa main. On retrouve sa signature en 2 endroits sur le premier plat (voir photos ci-dessous).
Comme précisé sur la page de titre ci-dessus, cette bible en 2 volumes a été illustrée par Gustave Doré et les ornementations remarquables de finesse ont été dessinées par Hector GIACOMELLI.
Gustave Doré est considéré comme le plus grand illustrateur de la 2ème moitié du XIXe siècle. C’est le spécialiste du clair-obscur, de paysages grandioses, de dramatisation des scènes.
Né à Strasbourg en 1832, il a débuté comme dessinateur lithographe et à 15 ans a été engagé pour un contrat de 3 ans chez Charles Philipon, éditeur de journaux comiques et satyriques comme « le journal pour rire ».
C’est grâce à l’illustration des œuvres de Rabelais et des contes drôlatiques de Balzac (en 1854 et 55, il n’avait alors que 22-23 ans) qu’il se fit remarquer et à l’illustration de l’Enfer de Dante et de la Sainte Bible qu’il obtint une réputation internationale.
Elle contient 230 gravures sur bois de bout, pleine page. En effet, Gustave Doré estimait que ses dessins ne devaient pas être réduits à de simples vignettes ou bandeaux incorporés dans le texte de l’auteur mais être tirés en grand format hors texte, pour leur donner la même force et la même valeur que le texte lui-même. C’est lui qui a voulu le format in-folio de l’ouvrage pour donner encore plus d’importance à ses illustrations. Il y a une planche hors-texte toutes les 4 pages !
D'autre part, afin que les graveurs avec qui il travaillait aient la marge d’interprétation la plus réduite possible, Doré dessinait directement sur le bois, utilisant plus souvent le lavis et la gouache posés au pinceau plutôt que le crayon et la plume. Les valeurs étaient ensuite traduites en hachures, traits croisés ou sinueux, pleins et déliés et autres pointillés.
Avec ce dérivé particulier de la gravure sur bois de bout, appelé « gravure de teinte » ou « gravure de ton », par opposition à la traditionnelle gravure au trait, Doré et ses graveurs obtenaient des tons et des effets qu’on croyait ne pouvoir obtenir qu’avec la gravure sur métal.
Il facilitait ainsi la tâche des graveurs et cela permettait que son trait soit modifié a minima, contrairement aux autres illustrateurs qui fournissaient des dessins aux graveurs, ceux-ci devant les inverser et les simplifier pour les graver sur les bois.
Les graveurs favoris à qui il accordait le plus sa confiance, étaient en premier François Pannemaker, ainsi qu’Héliodore Pisan, qui fut son meilleur interprète. La tonalité nocturne et les puissants effets de clair-obscur, sont fidèles à l’univers fantastique, spectaculaire et visionnaire de Doré. Pour le décor des palais dans la Sainte Bible, Doré apporte une note de véracité en s’inspirant des collections égyptiennes et babyloniennes du Louvre.
La « Bible de Doré » va durablement marquer le renouveau de l’art religieux en Europe dans le dernier tiers du XIXe siècle. Dans le monde anglo-saxon, la popularité de ses planches est telle qu’elle a pu inspirer des sermons. Elles ont également été reprises en plaques de lanternes magiques, elles ont même influencé la scènographie dans le cinéma hollywoodien !
Quatre ans avant sa mort (en 1883), la carrière d’illustrateur de Gustave Doré pourrait se résumer à quelques chiffres vertigineux : dix mille dessins exécutés pour des ouvrages ou des périodiques, interprétés par plus de cent soixante graveurs.
-:-:-:-:-:-:-:-
Je vais maintenant un peu vous parler de la restauration de cet ouvrage en 2 volumes (14 Kg au total à manipuler une cinquantaine de fois…). En voici quelques photos avant restauration , le dos et les coiffes tout d'abord :
Etant donné le poids des ouvrages, les dos sont cassés, lacunaires, la toile fendue, les couleurs fanées par l'exposition aux ultraviolets.
Quant aux plats (2 sont détachés), ils sont plutôt en bon état mais les chants et les coins sont usés et frottés :
L'intérieur des livres a aussi beaucoup souffert, notamment les premières pages, détachées et les gardes dont le papier est complètement brûlé et tombe en petits morceaux sur leur pourtour.
Il m'a donc fallu commander des feuilles bicolores pour refaire des gardes neuves de la même teinte que celles d'origine. Je me suis donc adressée à une marbreuse qui, sur échantillon, m'a confectionné un papier à l'identique de ce papier XIXe. (Marie-Anne PETER à Naves) .
J'ai récupéré tout ce qu'il était possible de garder des dos en lambeaux et j'ai affiné la toile d 'origine au maximum pour pouvoir l'incruster sur la toile neuve que j'ai teintée au préalable afin qu'elle s'harmonise avec la couleur des plats.
J'ai dû reposer des tranchefiles neuves car il n'en restait plus qu'une seule d'origine sur les 4.
Je passe la description de toutes les étapes de restauration car les photos parleront mieux d'elles-mêmes.
Pour écrire ces quelques lignes, je me suis inspirée de Wikipédia, d'un article rédigé par Isabelle Saint-Martin et du catalogue de l'exposition de 2014 : Gustave Doré, le pouvoir de l'imaginaire" à la BNF.