J’ai eu cette année 2 documents entre les mains qui m’ont particulièrement émue.
Une septuagénaire est venue me voir à mon atelier pour me demander de lui remettre en état une feuille de papier dactylographiée par son père, pliée en huit dans une petite enveloppe.
La feuille dépliée est sale, déchirée, elle a été maintes et maintes fois manipulée, lue et relue, le papier est tellement usé qu’il en manque des morceaux, il a été scotché en plusieurs endroits et l’adhésif a jauni par le temps.
Il s’agit du récit d’évasion tapé à la machine d’un soldat français fait prisonnier en Allemagne pendant la 2ème guerre mondiale. Le 17 avril 1944, c’est la troisième tentative d’évasion de Marcel LEYCUYER, réussie cette fois-ci.
Parti de Berlin avec 5 camarades, il sera le seul à revenir chez lui en Bretagne après 7 jours de nombreuses péripéties où il a plusieurs fois failli être repris. Un mois plus tard, il prenait le maquis pour continuer le combat.
Le texte est très factuel et il en est d’autant plus émouvant .
En ce qui concerne le travail de restauration, j'ai eu d'abord à décoller tous les scotchs. Malheureusement, certains adhésifs ont non seulement traversé et teinté le papier mais l'ont aussi rendu transparent, ce qui est rédhibitoire. J'ai ensuite fait une belle mise à plat de chacun des morceaux, puis les ai réunis par du papier japon très fin qui permette la lecture du texte.
Partout où il y avait des manques, j'ai fait un comblage avec un papier neutre pour assurer une bonne conservation, que j'ai teinté ensuite.
L’autre document que j’ai eu à restaurer se rapporte à la première guerre mondiale. Il s’agit d’un livret militaire, celui d’Ephrem Joseph PAYEUR qui a eu 20 ans en 1913 et qui a été appelé sous les drapeaux en 1914. On lui a remis ce document à cette occasion et il ne devait pas s’en séparer. Cela détaillait non seulement son identité mais aussi son suivi médical et tous les effets militaires qui lui ont été remis. Lorsque l’on constate l’état dans lequel était ce livret, complètement élimé, certaines pages sortant du fascicule, plus de dos pour maintenir les feuilles, on imagine tout ce que ce soldat a dû endurer. Il a en effet passé 5 ans sur le front et fait les tranchées à Verdun. Pour ne pas que son livret se détériore davantage, il en a maladroitement recousu les pages (qui étaient agrafées à l’origine), mais pas forcément dans le bon ordre, avec un gros fil. Les soldats devaient avoir un nécessaire de couture pour réparer leurs effets.
Malheureusement j’ai fait peu de photos avant et après restauration.
Au niveau du travail à faire, j’ai dû découdre le fascicule, aplanir chaque page, écraser les trous de couture pour les reboucher, dérouler le bord des feuilles une à une et en doubler le pourtour d’un japon très fin pour leur donner un peu de tenue.
Les pages n’étant pas toutes numérotées, j’ai fait des recherches sur internet pour savoir dans quel ordre il fallait les remettre. J’ai retrouvé une agrafe d’origine au fond d’un feuillet.
J’ai reconstitué les fonds de cahier pour pouvoir les refaire et avoir ainsi la possibilité de les agrafer. J'ai ré-encollé les couvertures pour leur redonner une certaine rigidité. Pour finir, j’ai fait un petit dos cartonné dans un matériau similaire à la couverture, que j’ai teinté à l’identique.
Alors que la couture faite par Ephrem Payeur empêchait d’ouvrir le livret correctement, ma restauration permet de tourner toutes les pages librement et de pouvoir lire tout le texte. Elles ne risquent plus de se détériorer .
Le petit-fils de ce soldat à qui cet objet appartient va pouvoir le montrer à ses descendants. Il témoigne de sa petite histoire familiale et de la grande histoire de notre pays.
Dans ces 2 cas, on ressent particulièrement l'importance de la conservation et de la transmission de ces documents.